Au quotidien, le travail est souvent rythmé par l’absence d’un membre de l’équipe pour cause de « cas de décès ». La mort est très présente et enlève souvent un oncle, une tante, un cousin ou un parent à l’un des membres de Foi et Joie. Depuis mon arrivée, l’équipe est souvent allée rendre condoléance à l’un ou à l’autre. Alors, si la présence dans les moments difficiles est importante, il faut savoir également célébrer et partager les moments de joie. C’est à l’un de ces moments qu’Erbyé et moi avons été conviés pour représenter Foi et Joie : le mariage de Bienvenu, notre comptable de choc, à Moundou.
Il faut deux jours pour se rendre au Sud sans arriver sur les genoux : une journée pour faire Mongo-N’djamena et une autre pour N’djamena-Moundou, avec une partie de la route en très mauvais état entre Bongor et Kélo. C’est armé de nos nombreuses bouteilles d’eau, de cola et d’un paquet de barquettes de Lu (ouh le vilain volontaire social-traitre de la DCC qui va faire des courses à la nouvelle station Total de Mongo) que nous avons pris le bus pour notre voyage vers Moundou. Ces petits bus du marché chargés d’innombrables objets sur le toit (bagages, poules, meubles et autres matériaux de construction) et qui semblent près de s’envoler dans les virages un peu serrés. Fort intelligemment, je me suis installé à la place où la vitre était cassée, ce qui empêchait le voile installé pour me protéger du soleil de tenir en place. Ça tombait bien, la séparation entre le bronzage de mon bras et le blanc de l’épaule n’était pas assez marquée, ce qui m’a donné l’occasion de peaufiner l’élégance et la distinction de mon bronzage de camionneur. Le voyage s’est bien passé, nous avons été bien secoués sur la section Bongor-Kélo et nous sommes arrivés frais et dispos (c’est-à-dire trempés de sueur et couverts de poussière) pour démarrer les festivités du mariage. D’ailleurs, à notre arrivée, une voiture amenait la femme de Bienvenu dans la maison qu’il avait loué pour l’occasion, si bien qu’il nous a conduit chez son frère pour nous permettre de nous reposer et nous laver un peu.On aura donc pas vu l’arrivée de sa femme dans sa demeure.
Mais après une nuit reposante, nous avons pu nous diriger vers le vif du sujet, dans un bus loué pour l’occasion, en compagnie de toute la famille de Bienvenu qui chantait joyeusement le long du trajet jusqu’à la mairie. Là, nous avons attendu l’arrivée de la famille de Régine, la future épouse, en faisant quelques photos.
Le déroulement du mariage en mairie est assez similaire à ce qui se passe en France, si ce n’est que l’adjoint au maire doit vérifier le fait que le marié a bien versé la dot à sa belle-famille et que les femmes ponctuent chaque étape de la procédure par des youyous : signature des papiers administratifs, échange des vœux et des alliances, sortie dans la cours de la mairie pour tenter de prendre des photos des nouveaux époux. Dans ce domaine, c’est pas de quartier. Tu veux une photo ? Alors il va falloir bousculer, passer par-dessus les uns, par dessous-les autres, pour essayer d’avoir une prise de vue convenable.
De retour chez Bienvenu pour un peu de repos, nous avons mangé une bonne sauce viande et du pain, avant de repartir pour l’église où avait lieu la cérémonie religieuse. Bienvenu et Régine sont protestants évangéliques et c’est dans un bâtiment couvert de citation des Evangiles que nous avons pris place. Qui dit protestantisme évangélique dit conservatisme et ferveur religieuse. Nous avons eu les deux : une charge du pasteur contre le mariage pour tous dans des termes très accueillants (« Même les animaux ne font pas de telles choses ») dans son discours sur le sens du mariage et des chants très entraînants, toute l’assemblée en train de danser et de participer activement à la célébration. J’ai dû faire une petite chorégraphie avec les mamans lors de la distribution des cadeaux, mais ce n’était pas très convaincant. Le couple a été bénis par les pasteurs, celui de l’église de Moundou, et d’autres de Sarh où Bienvenu a grandi. Et puis, après de nombreux chants de louange par des chorales aux noms poétiques (« Les archanges du Seigneur », « Les alliés de Jésus »…), de prières et d’insistance sur les saines valeurs de la société (« Même les animaux ne s’abaissent pas à de telles turpitudes », ce qui en soit est bien vrai, on a rarement vu un couple de chats ou de loutres se marier à l’église), nous sommes allés boire une sucrerie dans une petite salle et avons félicité les heureux époux.
Une réception au Centre protestant Martin Luther King a succédé à la cérémonie religieuse. Pièce de théâtre en ngambay, discours de remerciement, sucrerie et gâteaux étaient au rendez-vous. Malheureusement, du fait du retard pris pendant la journée, la réception a commencé vers 18h, c’est-à-dire à la tombée de la nuit, et comme les événements savent toujours si bien se conjuguer, l’électricité a coupé, ce qui nous a empêché de voir quoique ce soit du spectacle et de ce que nous mangions. Mais l’important était de partager la joie de Bienvenu et de Régine.
Le lendemain, avant de prendre le bus de retour, Bienvenu nous a convié au premier repas du foyer : la première boule préparée par sa femme, selon la tradition. Dans la cour de la maison, les mamans dansaient, faisaient des youyous, et tout le monde, les deux familles, se réjouissaient du mariage. La journée allait être consacrée à la fête, aux danses, aux chants, libérée des démarches de la veille. Mais malheureusement, pour Erbyé et moi, il fallait rentrer, à regret, parce que Moundou m’a vraiment plu et j’y serais bien resté beaucoup plus longtemps. Par comparaison avec le Sud, le Guéra est beaucoup plus austère, le soleil y est plus écrasant et la vie paraît plus dure pour les habitants. Moundou est plus verte, plus humide, plus rangée aussi par rapport à N’djamena. Et elle est plus rouge, rouge de poussière, de la latérite des routes qui se soulève et se dépose sur les toits, sur les arbres, les plantes et les habits. Moundou la rouge.
Après cette boule, nous sommes partis reprendre le bus pour N’djamena. Malgré la mauvaise qualité de la route, la première partie du voyage a été sans problème. Par contre le lendemain à N’djamena, nous avons trouvé à exercer cette vertu préconisée par le Coran et affichée dans notre bus :
« Dieu est avec les patients » Sourate 2, v.153
La patience. Il en faut pour prendre les occasions du marché. Arrivés à 7h30 frais comme des gardons, nous avons payé notre trajet et attendu que le bus se remplisse pour le départ. Parce que les bus ne partent pas tant qu’ils ne sont pas assez remplis pour rentabiliser le voyage. Et l’arrivée des voyageurs, c’est inch’Allah comme dirait l’autre. A 9h30, je rigolais intérieurement en me disant que ça fait partie de l’expérience interculturelle. A 10h30, je continuais à rire, mais je me disais que l’interculturel c’est sympa tant que ça ne fait pas attendre trop longtemps. A 11h30, alors que le soleil bougeait et nous obligeait à décaler notre banc régulièrement pour rester à l’ombre, il n’y avait plus d’interculturel qui tenait. A 12h30, il n’y avait plus d’ombre où poser notre banc, alors nous avons trouvé refuge sous un hangar en secko qui s’est avéré être une mosquée. Malheureux, ne rentre pas dans une mosquée avec tes chaussures ! A 13h00, l’agence nous disait qu’on allait bientôt partir mais qu’on attendait quatre femmes qui en attendant le départ étaient rentrées chez elles faire la sieste et préparer la boule, insensible aux appels furieux du chauffeur. A 13h30, alors que les bagages étaient bien ficelés sur le toit du bus, il a fallu tout enlever, descendre le lit en kit des femmes, leurs bagages pour partir sans elles, tandis qu’elles arrivaient en colère en disant qu’elles avaient payé et que c’était scandaleux. Pas d’excuses pour l’attente à cause d’elles. Parallèlement c’était l’heure de la prière. Finalement, à 14h, le bus a démarré. Après un arrêt à 15h, un autre à 18h, pour les prières, puis encore des arrêts à Moyto, Bokoro et Bitkine avec déficelage et reficelage des bagages, nous sommes finalement arrivés à 23h à Mongo en se disant que même si Dieu est avec les patients, on ne reprendra plus jamais l’agence Guéra Star. Inch’Allah.