Deux citrons

P1040177

Ce n’est qu’un bref instant qui ailleurs ne se démarquerait pas de la journée, dans sa totale simplicité et sa banalité. Mais certains instants, certains regards, certaines poignées de main sont chargés d’une forte intensité qui ne peut peut-être se dévoiler que dans la nudité du désert, qu’il soit physique ou mental.

Au cours d’une promenade avec la Sœur Teo, assis sur un rocher, nous regardons le soleil qui se couche sur le grand plateau de la région d’Iriba. Autour de ce gros rond rouge qui descend rapidement derrière l’horizon, le ciel rougeoie et se pare de ses habits du soir, rose, violet, bleu nuit, zébré de lignes oranges. De la brousse, deux enfants reviennent en conversant tranquillement, un panier en plastique à la main. Nous leur demandons ce qu’ils font et ils nous apprennent qu’ils rentrent à la maison après être allé au jardin. Nous leur demandons alors ce qu’ils sont allés chercher. Les deux enfants s’arrêtent, et l’un deux s’approche de nous, monte le rocher en pente et nous tends deux des petits fruits qu’ils sont allés cueillir au jardin. Deux citrons. Il nous les offre, comme ça, et puis il redescend, et les deux amis poursuivent leur route dans la pénombre qui s’installe. L’échange n’a duré qu’un instant, et tout en silence. Mais ces deux citrons sont comme deux petites pépites lumineuses dans la roche sombre et dure qui nous tient lieu de vie. La douceur de ce geste est comme un baume, au milieu de la dureté des adultes.

Un autre souvenir se profile. Après une rencontre avec les enseignants d’une école du camp de Touloum, au cours de laquelle nous avons pu mesurer encore le manque cruel de tout ce qui pourrait permettre une transition réussie vers le système éducatif tchadien, nous repartons ensemble vers l’école centrale qui nous sert de point d’ancrage. Sur le chemin, l’un des enseignants m’indique sa maison pendant qu’un autre propose une pastèque. Malgré le temps qui presse pour se rendre à une autre réunion, nous nous agenouillons quelques instants à l’ombre d’un épineux tandis que l’homme à la pastèque sort son couteau et commence à la trancher en plusieurs morceaux. Entre deux considérations philosophiques sur les mérites respectifs du Real et du Barça, et sur la France et le Soudan, en anglais agrémenté d’arabe, nous partageons la pastèque qui s’assaisonne petit à petit du sable du camp porté par le vent froid de la saison. Et puis nous repartons, affronter les critiques habituelles sur le manque de manuels, le curriculum tchadien et les demandes de congés pour les cas de décès, de naissance et de mariage. Encore un bref instant de joie au milieu des difficultés.

Au retour d’un séjour à Mongo, où j’ai pu rendre visite aux amis, sortir en brousse, à moto, à dos de chameau et à pied, partager la boule, décortiquer les arachides et repartir chargé de cadeaux quelquefois encombrants (les coros d’arachides pèsent beaucoup mais rentrent aisément dans le sac, ce qui n’est pas le cas du poulet vivant qui passe assez mal au contrôle de l’aéroport), je me rends compte de tout ce qui me manque à Iriba, la vie sociale, les soirées en « ville », la gentillesse des gens… Nous ne manquons de rien au niveau matériel, mais Iriba nous étrille, nous essore et nous dépouille, ne nous laissant pas beaucoup d’autre choix que de savoir ouvrir les yeux sur les minuscules graines de vie que nos yeux encrassés ont depuis longtemps perdu de vue. Au milieu des exigences absurdes de certains bailleurs, de la rudesse des réfugiés et de l’indécence du monde humanitaire, il faut savoir se nourrir du peu qui s’offre dans l’éphémère, du précieux qui passe comme un souffle de vent, que certains appellent la grâce : deux citrons, une pastèque et quelques grains de sable…

P1040342

Aridité

P1040002

L’est du Tchad n’est pas un endroit très accueillant. Le sol y est très sec, les températures peu clémentes, les arbres petits et rabougris. Le soleil brûle la terre et les hommes, au milieu d’un ciel immense, beaucoup trop grand pour une âme humaine. Les gens y sont aussi durs que l’environnement. C’est là que plusieurs milliers de Soudanais se sont réfugiés pour fuir les violences au Darfour. Depuis 10 ans, ils vivent là, dans plusieurs camps gérés par le Haut Commissariat des Nations Unies aux Réfugiés. Voilà un mois que je suis parmi eux.

Iriba, là où résident le HCR et les ONG qui travaillent dans les camps, n’est qu’un petit village. Le sultan y dispose malgré tout d’un beau palais tout neuf, surmonté d’une coupole, comme un palais arabe. Les rues sont très propres, pas une ordure n’est entassée ni brulée comme à Mongo. Peu d’animaux également. Quelques troupeaux de chèvres qui trouvent à manger grâce à la saison des pluies et des dromadaires quand on fait quelques pas hors de la ville. A mon arrivée, le paysage tout entier était vert tendre, légèrement vallonné. Mais en deux semaines, la sécheresse a repris ses droits, l’herbe a jauni et annonce l’aridité des mois à venir.

L’aridité n’est pas seulement dans la terre, elle est aussi dans le cœur des hommes. On n’accueille pas ici comme à Mongo. Les Zaghawas sont des gens fiers et distants, d’autant plus fiers, à la limite du mépris pour les autres, que c’est l’un des leurs qui est à la tête du Tchad depuis plus de 20 ans. Depuis mon arrivée, je n’ai parlé à aucun natif d’Iriba, hormis au marché pour acheter des tongs et dans la première semaine, à un groupe de femmes surprises que je parle arabe. Même les membres tchadiens de l’équipe de JRS, qui viennent tous d’autres régions du pays, ne parlent pas avec les gens d’ici, même quand ils habitent dans la même concession.

Depuis Iriba, le HCR et ses partenaires opérationnels, comme le JRS qui s’occupe de l’éducation, desservent trois camps de réfugiés dans les environs : Am-Naback, Touloum et Iridimi. Au milieu de nulle part, ce sont de véritables petites villes qui se sont construites en 10 ans. Les seuls éléments qui marquent la nature de ces groupements d’hommes, ce sont les tentes du Programme Alimentaire Mondial et les sortes de miradors aux points de sécurité. Sinon, rien ne distingue ces camps d’un village tchadien.

Le JRS assure dans ces camps le fonctionnement de l’éducation pré-scolaire, du primaire et du secondaire, ainsi que des activités pour les jeunes. Je suis chargé du projet Primaire. Cette année, le grand défi est la transition au curriculum tchadien dans les écoles des camps à l’est du Tchad. Jusqu’ici, les enfants suivaient le curriculum soudanais, alors que la législation internationale concernant les réfugiés indique qu’ils doivent suivre le système éducatif du pays d’accueil. De plus, les espoirs de réinstallation au Darfour s’amenuisent au fil des années. Il faut alors envisager l’intégration des réfugiés dans la population locale. Le HCR a décidé, en partenariat avec l’Etat tchadien, de faire adopter le système éducatif du Tchad dans les camps. Non sans rejet de la part des principaux intéressés.

Ce sujet, associé à la préparation de la rentrée scolaire, la sélection des enseignants, la réhabilitation des salles de classe et les prévisions en matériel occupent tout mon temps depuis mon arrivée. Les journées de travail sont longues ! Nous avons organisé plusieurs réunions avec les autorités dans les camps pour expliquer tous les changements en cours, au cours desquelles les réfugiés nous ont renvoyé toute leur colère et leur frustration. C’est cela qui est le plus difficile : chercher à accompagner les réfugiés alors qu’ils montrent tant d’hostilité à notre égard. Tous les problèmes techniques s’associent avec les incompréhensions culturelles pour rendre la communication et les relations très difficiles.

Pourtant, dans l’aridité de ce premier mois à Iriba, quelques oasis ont pu apparaître. D’abord, lors de réunions aux camps de Touloum et d’Iridimi, j’ai commencé mon intervention en arabe avant de m’excuser de mon faible niveau et de poursuivre en français. Ces quelques mots ont été l’occasion de voir des sourires s’afficher sur les visages d’habitude fermés des enseignants. J’ai eu aussi quelques échanges avec des réfugiés, plus personnels, sur leur vie, leur travail et le Soudan. Et sur le sujet majeur qui divise les foules et décide de la géopolitique mondiale : suis-je plutôt Real ou Barça ?

J’ai commencé aussi à rendre visite aux membres de l’équipe de JRS chez eux. L’un des agents de suivi est originaire de Barama, près de Bitkine. On a beaucoup parlé du Guéra ensemble. Et je découvre aussi des Tchadiens originaires d’Abéché, du Batha, de toutes les parties du pays. C’est l’occasion de reprendre conscience de l’importance de la visite dans la culture tchadienne. On est rarement invité chez quelqu’un, mais se rendre de soi-même chez un collègue ou une connaissance est une marque de politesse. Le simple fait de passer du temps avec les gens sur la natte, de partager le thé ou la boule est une manière de montrer à l’autre qu’on l’apprécie, qu’on le respecte et de tisser des amitiés. Quand tout le reste présente un visage si dur et tourmenté, les relations humaines les plus simples viennent assurer que même dans les endroits les plus isolés de la planète, il y a une vie possible et tout un monde à découvrir.

L’autre-là

S’il y a bien une expression tchadienne qui me fait mourir de rire, c’est ce « l’autre-là » utilisé à toutes les sauces, quand on a oublié le nom de quelqu’un, qu’on ne trouve pas le mot adéquat ou qu’on marque un temps d’hésitation avant de préciser sa pensée. « J’ai besoin d’argent pour acheter l’autre-là… du carburant », « Hier on a reçu la visite de l’autre-là… Moussa ». Le plus drôle reste de jouer au Tabou avec un groupe de Tchadiens. Les parties ressemblent un peu à ce jeu télévisé, Pyramides, où les participants disent un mot pour que leur partenaire en devine un autre sensé lui être lié, mais dont le lien échappe complètement au téléspectateur lambda :

– Joueur 1 : Hélicoptère
– Joueur 2 : Bouillabaisse !
– Présentateur : Oui bravo, vous avez gagné !

Le Tabou au Tchad, c’est un peu le même genre :

– Alors, c’est l’autre-là qui fait l’autre-là, celui qui est à l’autre-là près de l’autre-là !
– Un aéroport !

L’autre-là, ça pourrait tout aussi bien être l’étranger. Cet étranger, qui, d’une manière générale, est si bien accueilli au Tchad. Celui dont l’accueil constitue un honneur et dont le refus d’accepter une invitation, un verre de thé ou le partage de la boule peut gravement offenser son hôte. De toute façon, puisque dire non est inenvisageable, ce genre de chose ne peut pas se produire, n’est-ce pas ?

Hospitalité

Que ce soit dans un ferrick, avec les Arabes nomades, qui se font un devoir de te servir un grand récipient de lait de chamelle tout juste sorti du pis, ou chez les sédentaires de Mongo, dont la porte est presque toujours ouverte, et où ton arrivée provoque toujours l’installation de la natte, l’offre d’un récipient d’eau, puis d’un verre de thé, puis de la boule… tous ces Tchadiens m’ont marqué par cette hospitalité toujours présente. Le plus bel exemple de cette hospitalité est la « part de l’étranger », que toute cuisinière prépare en plus du repas pour la famille, au cas où, ce qui permet d’offrir à manger à tout visiteur imprévu.

Toute personne extérieure à la concession est un « étranger ». C’est ainsi que régulièrement, mes collègues ou mes amis m’expliquent qu’ils sont très occupés, parce qu’ils ont « trouvé des étrangers » (ligit difan). L’étranger en question peut tout aussi bien être un membre de la famille d’une autre ville qu’un véritable étranger tel qu’on l’entend en France. Il faut alors bien s’en occuper, l’accueillir dignement, qu’il se sente bien.

Cette hospitalité semble être une relation qui exige des deux côtés un engagement. L’hôte se doit de tout faire pour mettre à l’aise son étranger, lui offrir à boire, à manger, parler avec lui… mais l’étranger a lui aussi un devoir à respecter, qui est d’accepter ce qu’on lui offre… tout ce qu’on lui offre. Et cela demande souvent un entraînement d’athlète : ce n’est pas si facile de manger la boule, trois poulets, des marraras, les macaronis, les mangues, de boire six verres de thé, puis cinq verre de café (à 20h), et les arachides, et les bonbons… quand on a déjà mangé avant. Mais on s’y tient tant bien que mal, et on évite de visiter les amis ou connaissances qu’on sait particulièrement enclines aux repas copieux quand on a mal au ventre.

Disponibilité

Dans l’ « Aventure ambigüe », Cheikh Hamidou Kane, un auteur sénégalais, dit quelque part que l’homme civilisé, c’est l’homme disponible. C’est en espérant rentrer un peu plus civilisé que j’ai choisi de prolonger une troisième année au Tchad. Disponible à la rencontre de l’autre-là. Après ce séjour dans le Sahel, ce serait à mon tour d’ouvrir ma maison aux étrangers, de leur servir un verre de thé et une place sur la natte, et de leur faire découvrir mon pays, comme ont pu le faire les Tchadiens pour moi. Etre disponible, ce n’est vraiment pas facile et cela demande un gros travail sur soi, surtout par chez nous en France, où on se laisse facilement envahir par le superflu. C’est même une disposition d’esprit qui peut devenir dangereuse quand on ne sait plus fixer de limite. Mais l’ouverture à l’autre-là est aussi une prise de risque sans laquelle de nombreuses richesses restent inaccessibles. Et c’est le trésor que je voudrais ramener de mon séjour en Afrique.

Un mariage à Moundou

Au quotidien, le travail est souvent rythmé par l’absence d’un membre de l’équipe pour cause de « cas de décès ». La mort est très présente et enlève souvent un oncle, une tante, un cousin ou un parent à l’un des membres de Foi et Joie. Depuis mon arrivée, l’équipe est souvent allée rendre condoléance à l’un ou à l’autre. Alors, si la présence dans les moments difficiles est importante, il faut savoir également célébrer et partager les moments de joie. C’est à l’un de ces moments qu’Erbyé et moi avons été conviés pour représenter Foi et Joie : le mariage de Bienvenu, notre comptable de choc, à Moundou.

Il faut deux jours pour se rendre au Sud sans arriver sur les genoux : une journée pour faire Mongo-N’djamena et une autre pour N’djamena-Moundou, avec une partie de la route en très mauvais état entre Bongor et Kélo. C’est armé de nos nombreuses bouteilles d’eau, de cola et d’un paquet de barquettes de Lu (ouh le vilain volontaire social-traitre de la DCC qui va faire des courses à la nouvelle station Total de Mongo) que nous avons pris le bus pour notre voyage vers Moundou. Ces petits bus du marché chargés d’innombrables objets sur le toit (bagages, poules, meubles et autres matériaux de construction) et qui semblent près de s’envoler dans les virages un peu serrés. Fort intelligemment, je me suis installé à la place où la vitre était cassée, ce qui empêchait le voile installé pour me protéger du soleil de tenir en place. Ça tombait bien, la séparation entre le bronzage de mon bras et le blanc de l’épaule n’était pas assez marquée, ce qui m’a donné l’occasion de peaufiner l’élégance et la distinction de mon bronzage de camionneur. Le voyage s’est bien passé, nous avons été bien secoués sur la section Bongor-Kélo et nous sommes arrivés frais et dispos (c’est-à-dire trempés de sueur et couverts de poussière) pour démarrer les festivités du mariage. D’ailleurs, à notre arrivée, une voiture amenait la femme de Bienvenu dans la maison qu’il avait loué pour l’occasion, si bien qu’il nous a conduit chez son frère pour nous permettre de nous reposer et nous laver un peu.On aura donc pas vu l’arrivée de sa femme dans sa demeure.

Mais après une nuit reposante, nous avons pu nous diriger vers le vif du sujet, dans un bus loué pour l’occasion, en compagnie de toute la famille de Bienvenu qui chantait joyeusement le long du trajet jusqu’à la mairie. Là, nous avons attendu l’arrivée de la famille de Régine, la future épouse, en faisant quelques photos.

P1060840Le déroulement du mariage en mairie est assez similaire à ce qui se passe en France, si ce n’est que l’adjoint au maire doit vérifier le fait que le marié a bien versé la dot à sa belle-famille et que les femmes ponctuent chaque étape de la procédure par des youyous : signature des papiers administratifs, échange des vœux et des alliances, sortie dans la cours de la mairie pour tenter de prendre des photos des nouveaux époux. Dans ce domaine, c’est pas de quartier. Tu veux une photo ? Alors il va falloir bousculer, passer par-dessus les uns, par dessous-les autres, pour essayer d’avoir une prise de vue convenable.

P1060856P1060867

De retour chez Bienvenu pour un peu de repos, nous avons mangé une bonne sauce viande et du pain, avant de repartir pour l’église où avait lieu la cérémonie religieuse. Bienvenu et Régine sont protestants évangéliques et c’est dans un bâtiment couvert de citation des Evangiles que nous avons pris place. Qui dit protestantisme évangélique dit conservatisme et ferveur religieuse. Nous avons eu les deux : une charge du pasteur contre le mariage pour tous dans des termes très accueillants (« Même les animaux ne font pas de telles choses ») dans son discours sur le sens du mariage et des chants très entraînants, toute l’assemblée en train de danser et de participer activement à la célébration. J’ai dû faire une petite chorégraphie avec les mamans lors de la distribution des cadeaux, mais ce n’était pas très convaincant. Le couple a été bénis par les pasteurs, celui de l’église de Moundou, et d’autres de Sarh où Bienvenu a grandi. Et puis, après de nombreux chants de louange par des chorales aux noms poétiques (« Les archanges du Seigneur », « Les alliés de Jésus »…), de prières et d’insistance sur les saines valeurs de la société (« Même les animaux ne s’abaissent pas à de telles turpitudes », ce qui en soit est bien vrai, on a rarement vu un couple de chats ou de loutres se marier à l’église), nous sommes allés boire une sucrerie dans une petite salle et avons félicité les heureux époux.

P1060896

P1060886

P1060879

P1060905Une réception au Centre protestant Martin Luther King a succédé à la cérémonie religieuse. Pièce de théâtre en ngambay, discours de remerciement, sucrerie et gâteaux étaient au rendez-vous. Malheureusement, du fait du retard pris pendant la journée, la réception a commencé vers 18h, c’est-à-dire à la tombée de la nuit, et comme les événements savent toujours si bien se conjuguer, l’électricité a coupé, ce qui nous a empêché de voir quoique ce soit du spectacle et de ce que nous mangions. Mais l’important était de partager la joie de Bienvenu et de Régine.

Le lendemain, avant de prendre le bus de retour, Bienvenu nous a convié au premier repas du foyer : la première boule préparée par sa femme, selon la tradition. Dans la cour de la maison, les mamans dansaient, faisaient des youyous, et tout le monde, les deux familles, se réjouissaient du mariage. La journée allait être consacrée à la fête, aux danses, aux chants, libérée des démarches de la veille. Mais malheureusement, pour Erbyé et moi, il fallait rentrer, à regret, parce que Moundou m’a vraiment plu et j’y serais bien resté beaucoup plus longtemps. Par comparaison avec le Sud, le Guéra est beaucoup plus austère, le soleil y est plus écrasant et la vie paraît plus dure pour les habitants. Moundou est plus verte, plus humide, plus rangée aussi par rapport à N’djamena. Et elle est plus rouge, rouge de poussière, de la latérite des routes qui se soulève et se dépose sur les toits, sur les arbres, les plantes et les habits. Moundou la rouge.

P1060917

Après cette boule, nous sommes partis reprendre le bus pour N’djamena. Malgré la mauvaise qualité de la route, la première partie du voyage a été sans problème. Par contre le lendemain à N’djamena, nous avons trouvé à exercer cette vertu préconisée par le Coran et affichée dans notre bus :

« Dieu est avec les patients » Sourate 2, v.153

La patience. Il en faut pour prendre les occasions du marché. Arrivés à 7h30 frais comme des gardons, nous avons payé notre trajet et attendu que le bus se remplisse pour le départ. Parce que les bus ne partent pas tant qu’ils ne sont pas assez remplis pour rentabiliser le voyage. Et l’arrivée des voyageurs, c’est inch’Allah comme dirait l’autre. A 9h30, je rigolais intérieurement en me disant que ça fait partie de l’expérience interculturelle. A 10h30, je continuais à rire, mais je me disais que l’interculturel c’est sympa tant que ça ne fait pas attendre trop longtemps. A 11h30, alors que le soleil bougeait et nous obligeait à décaler notre banc régulièrement pour rester à l’ombre, il n’y avait plus d’interculturel qui tenait. A 12h30, il n’y avait plus d’ombre où poser notre banc, alors nous avons trouvé refuge sous un hangar en secko qui s’est avéré être une mosquée. Malheureux, ne rentre pas dans une mosquée avec tes chaussures ! A 13h00, l’agence nous disait qu’on allait bientôt partir mais qu’on attendait quatre femmes qui en attendant le départ étaient rentrées chez elles faire la sieste et préparer la boule, insensible aux appels furieux du chauffeur. A 13h30, alors que les bagages étaient bien ficelés sur le toit du bus, il a fallu tout enlever, descendre le lit en kit des femmes, leurs bagages pour partir sans elles, tandis qu’elles arrivaient en colère en disant qu’elles avaient payé et que c’était scandaleux. Pas d’excuses pour l’attente à cause d’elles. Parallèlement c’était l’heure de la prière. Finalement, à 14h, le bus a démarré. Après un arrêt à 15h, un autre à 18h, pour les prières, puis encore des arrêts à Moyto, Bokoro et Bitkine avec déficelage et reficelage des bagages, nous sommes finalement arrivés à 23h à Mongo en se disant que même si Dieu est avec les patients, on ne reprendra plus jamais l’agence Guéra Star. Inch’Allah.

« Que Dieu nous garde du mauvais voisin, et du violoniste débutant » – Proverbe italien

Le violon glissé dans mes bagages a bien survécu au voyage. Quoiqu’un peu secoué, il est arrivé en bon état à Mongo, où il commence son entreprise de séduction diabolique auprès de Moussa et Issa :

P1060713

P1060720

P1060736

Cet après-midi, je pars en jouer avec Bienvenu, le comptable de Foi et Joie. On va voir si je peux m’inclure dans un groupe ou dans un autre. Et pourquoi pas donner quelques cours de solfège ?

Dâkhul hana lekkol

Bientôt octobre : la terre régénérée, le Tchad jaune et poussiéreux qui s’est couvert d’un grand manteau vert. Des champs de mil sont apparus là où il y a quatre mois, il n’y avait qu’une terre sèche et craquelée. Malgré ce vert apparent, les pluies n’ont pas été bonnes cette année, la saison des pluies a commencé trop tard et il faudrait encore quelques grosses pluies pour nourrir suffisamment les champs. On espère…

En attendant, à l’école, c’est la fin des congés. Le 1er octobre, c’est la rentrée scolaire officielle. Tous les enfants ne seront pas présents, leurs parents préférant les envoyer travailler au champ jusqu’à la fin de la récolte. Alors, pour convaincre un maximum de gens que cette rentrée scolaire est importante, que les directeurs et les maîtres doivent commencer les cours, même avec le peu d’élèves qu’ils auront, et que l’école est essentielle pour l’avenir des enfants, Foi et Joie a entamé mi-septembre sa campagne annuelle de sensibilisation à la rentrée scolaire. 26 villages à visiter, dont certains sont encore très difficilement accessibles en voiture. Dans les 9 villages du réseau Foi et Joie n°3 (cette année, Bogrom est venu rejoindre le réseau), la sensibilisation consiste en une pièce de théâtre suivie d’un débat, et de la distribution de fournitures scolaires aux meilleurs élèves, aux premiers inscrits ou aux meilleures filles de chaque classe. Dans les 17 villages de Foi et Joie n°1, la sensibilisation a lieu le soir, autour de la projection de la pièce filmée (quand on oublie pas le film), grâce à un rétroprojecteur alimenté par un groupe électrogène (quand il fonctionne), suivi de la même distribution de fournitures à la lueur d’une petite lampe (en essayant de se protéger de l’armée de moustiques voraces qui parviennent à piquer aux endroits les plus improbables, et de la ribambelle d’insectes gros et moches dont la nuit de la brousse, dans sa grande sagesse, dissimule un peu la laideur et la taille).

Ici, la sensibilisation à Toumka :

P1060691

P1060695

La rentrée n’est pas seulement pour les élèves, elle est pour toute l’équipe de Foi et Joie, qui a déjà bien repris le travail depuis le mois d’août. L’année a démarré sur les chapeaux de roue, entre une formation de 80 maîtres communautaires dans le cadre d’un projet UNICEF, la planification de l’année, l’accueil prochain d’une équipe de journalistes d’Espagne et le déménagement des bureaux. Voilà déjà un mois et demi que je suis rentré au Tchad sans donner de nouvelles, désolé ! Mais le sentiment de déphasage et la quantité des activités ne me donnait pas la force d’écrire quelque chose.

Au niveau des nouveautés, c’est la rencontre avec Hassane, un Arabe – dit comme ça ça fait bizarre, mais c’est parce qu’ici, les Arabes, dont une bonne partie est nomade, et l’autre sédentarisée récemment, vit un peu à part des autres Tchadiens. Près de Mongo, ils habitent dans un petit village. Souvent, ils forment un quartier séparé dans les villages en brousse. Grâce à cette rencontre, j’ai pu faire du chameau, découvrir un peu l’habitat des nomades et boire des litres et des litres de lait de chamelle.

P1060677

P1060590

J’ai évidemment retrouvé Issa et Moussa, la boutique en face de la mairie, les après-midi volley. A chaque match, un vieux monsieur qui n’a plus toute sa tête vient s’assoir près du terrain, pour commenter le match dans une capsule de bière ou un caillou, comme s’il était l’envoyé spécial d’une radio : « Engagement attendu, zone sud-est du terrain », « Escore : 15-12 » (oui, escore, comme rentrée escolaire, espectacle, estation de radio et estylo bic). Lui aussi il fait partie de mes journées, avec le sourire d’un des enfants qui joue près des grands et qui vient me saluer à chaque fois.

Pour finir, quel bonheur de n’avoir à faire que 5 minutes de marche pour se retrouver en pleine brousse, dans un paysage magnifique, et rester là à ne rien faire d’autre que contempler la beauté du monde. J’essaye de faire des petites marches au moins une fois par semaine, ce qui est aussi l’occasion de rencontrer des gens qui se demandent bien ce qu’un Nassara va faire en brousse, de prendre des enfants en photo et de rigoler avec eux, et de se faire prendre en charrette-stop par un gentil cultivateur au retour.

P1060654

P1060661

P1060662

Ramadan Kerim

Aujourd’hui commence le Ramadan. Hier soir, avec Moussa et Issa, nous avons passé quelques instants sur un banc dans la rue, avec le ciel étoilé au dessus de la tête et les gens qui passaient en voiture, en moto ou à pied. La veille du Ramadan, les gens ne se couchent pas tôt. Pourtant ils devront se relever vers 3h30 ou 4h pour manger et boire avant le début de la journée. Heureusement, nous sommes en saison des pluies et la température a sensiblement baissé. Je n’ose pas imaginer un Ramadan en pleine saison chaude. Qu’est-ce qui va le plus manquer à Moussa et Issa pendant ce mois de « carême » ? Certes, ils ne pourront ni boire ni manger pendant la journée. Mais le plus dur selon eux, c’est qu’ils ne pourront pas draguer les filles !

Moi dans quatre jours, je prends l’avion pour la France. Je ne verrai donc pas le mois du Ramadan, la vie qui tourne au ralenti, les repas du soir… Je me souviens de mon arrivée, quelques jours avant la fête de la fin du jeûne. Sur la route de Mongo, nous nous étions arrêtés à Bokoro, un village d’étape où on prend souvent des sucreries et des gâteaux avant de repartir. Assis au milieu d’une boutique sur des chaises en plastique, alors que la chaleur écrasait toute velléité de faire le moindre effort, Nicolas et moi étions les seuls à boire un coca, dans une atmosphère de léthargie. Les hommes qui tenaient les boutiques étaient allongés sur des nattes, sur des bancs, à l’abri des moindres recoins d’ombre. A ce moment, je ne connaissais rien du Tchad. C’était il y a presque un an.

Dans les villages, les écoles ont fermé leurs portes. Les enseignants ont cessé les cours, les élèves ne vont plus s’asseoir sur les nattes, jusqu’à 200 parfois dans une même classe. Ce n’est plus le temps des leçons de lecture et des problèmes de calcul. Avec la pluie est venu celui de planter. Pour quelques mois, l’eau si précieuse va rendre vie à la nature de Mongo. Déjà, de larges plaques d’herbe verte ont poussé dans les étendues désolées du Sahel. A Foi et Joie, les sorties se sont arrêtées. Les motos sont rangées dans le magasin et le bureau est presque fermé, je suis seul à venir encore tous les matins, à retrouver Brahim le gardien. Roger, Erbyé, Allahjabah ont mit en pause leurs visites auprès des parents d’élèves. Hassane, Souleymane, Benoît et Makaye ont cessé quelques temps d’accompagner les directeurs et les maîtres communautaires. Akouna et Haroun, ainsi que les chefs de chantier, les maçons et toute la population des villages de Dongom Bidio et de Djégéré ont achevé la construction de deux nouvelles écoles. Pour la plupart des gens du Guéra, il s’agit maintenant de cultiver, de travailler la terre et d’espérer qu’elle produira suffisamment de nourriture pour toute l’année prochaine.

Dans quatre jours, je vais donc prendre l’avion pour un mois de congés en France. Cela fera 11 mois le 14 juillet, jour de mon départ, et un an le 14 août, jour de mon retour au Tchad que j’aurais commencé cette expérience. Il y aura bientôt un bilan à faire sur cette première année, avant de commencer la deuxième sur de bonnes bases. Mes craintes avant de partir étaient pour une bonne part matérielle, comme la peur de la maladie ou des interrogations sur ma capacité à vivre deux ans en Afrique. Mais celles d’aujourd’hui concernent plutôt les relations avec les gens : alors que je suis si bien accueilli, que bien des Mongolais me donnent tant, moi, qu’est-ce que je donne ? Qu’est-ce que j’apporte ? Est-ce que je n’ai pas trop tendance à prendre excuse de la fatigue, de la chaleur ou de l’incompréhension pour éviter l’effort d’aller vers l’autre ? Ce n’est pas toujours facile, quand l’autre fait quelque chose qui nous heurte, quand on n’arrive pas à trouver un sujet de conversation, une fois épuisé les considérations sur le temps et les nouvelles sur la famille. Mais quand, comme hier soir sous les étoiles, on rit, on parle de tout et de rien, on se contente d’être là et de partager un moment ensemble, surtout quand je me rends compte que ces Tchadiens avec qui j’ai grimpé des montagnes, but des litres de thé et mangé des tonnes d’arachides, fait un tour en moto jusqu’au village de la famille maternelle de l’un, passé des dimanches matins sur la natte dans la maison de l’autre, sont tristes de me voir partir et seront heureux de me voir rentrer, je me dis que les petits efforts égrenés tout au long de l’année sont porteurs de beaucoup de récompenses et qu’il faudra en faire bien plus pour ma deuxième année de volontariat. Ces deux là, Issa et Moussa, Jésus et Moïse le tandem de choc, je me suis rendu compte hier que je pouvais les considérer comme des amis dans son sens fort. C’est une amitié qui porte en elle les difficultés de la différence et de modes de pensée éloignés, mais qui n’en est que plus riche. On ne se comprend pas toujours, mais moi aussi je serai heureux de les retrouver en août, pour la fête de la fin du Ramadan, ainsi que tous ces Tchadiens que j’ai rencontré cette année.

10361_205405756282125_241959018_n

1002782_205405709615463_1893510191_n

Vidéo-débâcle

Du 20 au 22 mai, le Foyer Saint Ignace de Mongo, centre Foi et Joie n°2, a clôturé l’année scolaire par une semaine culturelle au cours de laquelle se sont succédé des conférences, des représentations des élèves et la remise de cadeaux (des cahiers) aux plus méritants. Dans l’enceinte de la paroisse, au pied de la nouvelle cathédrale (le foyer se situe juste en face), les élèves ont pu montrer aux spectateurs ce qu’ils avaient appris durant cette année scolaire.

P1010915

P1010912Discours d’Hassane, le directeur

P1010896

Attention, de dangereux terroristes ont pris en otage de braves Mongolais !

Le Foyer, créé par les Jésuites et intégré récemment à Foi et Joie, accueille des élèves des collèges et des lycées de Mongo, de la 6ème à la Terminale, pour leur donner des cours de soutien scolaire et leur offrir la possibilité de participer à des activités culturelles. Une bibliothèque est aussi à leur disposition, où ils peuvent travailler et emprunter des livres. Pour une petite ville comme Mongo, elle est plutôt bien fournie, même si je ne sais pas si elle est adaptée aux élèves d’ici. En tout cas, j’y ai trouvé mon compte cette année, et il y a plein de livres que je voudrais bien lire. Donc au travers du soutien en français, en mathématiques ou en philosophie, des activités de théâtre, de conte, de danse ou de scrabble, le Foyer cherche à former des personnes dans leur intégralité, à la fois au niveau académique, au niveau extrascolaire, et au niveau des valeurs (respect du bien commun, engagement…).

Pendant cette année, j’ai animé le groupe de vidéo-débat des 3èmes et Terminales tous les mardi après-midi. Comment dire… eh bien, ça n’a pas été de tout repos. Je n’avais jamais été responsable d’un groupe de 25 élèves. Les débuts furent rude, à la fois pour imposer la discipline, pour faire participer les élèves aux débats ou pour leur faire comprendre les enjeux des films projetés. Ici, la culture du débat n’est pas vraiment encouragée. Le professeur détient le savoir et l’autorité et les élèves attendent de lui qu’il leur transmette la vérité. J’ai eu bien du mal à leur faire comprendre que nous n’étions pas dans un cours mais dans une activité culturelle, que je ne détenais pas la vérité dernière sur les films et que leur avis était aussi intéressant, et enfin que le but de l’atelier était justement d’en discuter. Je ne crois pas y être parvenu. Les enfants d’ici n’ont pas non plus une grande culture audiovisuelle. Ils s’attachent souvent à des détails dans le film, souvent ce qui leur parle le plus, même si cela ne concerne pas l’histoire générale, sans parvenir à définir le thème principal. Certains ne maîtrisent pas bien le français, ce qui est évidemment compliqué pour bien comprendre l’histoire. Tout ceci fait qu’il faut régulièrement couper le film pour expliquer ce qui vient de se passer, ou compléter les éléments que les élèves sont parvenus à dégager.

Il n’était pas non plus facile de trouver des films intéressants pédagogiquement, et qui pouvaient aussi les intéresser eux. Je ne savais pas, en partant, que j’animerai cet atelier, et la ribambelle de films d’horreur ou de science-fiction que j’avais emportée n’était pas vraiment adaptée. Heureusement, des centaines de films circulent entre les disques-durs des volontaires de Mongo et parfois du Tchad entier et il y a de quoi compléter sa collection. Seuls deux films ont vraiment fait l’unanimité : un film burkinabé sur la question du mariage forcé et du conflit entre la tradition et la modernité pour une jeune fille africaine, Djanta, et un documentaire sur Thomas Sankara. Les autres étaient parfois bien éloignés de la réalité d’ici, comme Intouchables ou Invictus de Clint Eastwood, ou ne les ont pas intéressé malgré leur grande qualité. J’ai ainsi projeté deux films de Mahamat Saleh Haroun, le seul réalisateur tchadien qui s’est imposé à l’international (son dernier film, Gris-Gris, était d’ailleurs dans la compétition du festival de Canne de cette année), Un homme qui crie et Daratt. Les deux se réfèrent à l’histoire douloureuse du Tchad, à la guerre qui enlève les enfants dans Un homme qui crie, et à la vengeance et au pardon dans Daratt. Home de Yann Arthus-Bertrand les a fait halluciner, quand ils ont vu les immeubles gigantesques de Dubaï et la pollution incroyable de la planète. De même que l’incroyable arrogance des Européens se répartissant l’Afrique sans y avoir même posé le pied et sans l’avis des Africains en 1885, dans un documentaire sur la Conférence de Berlin.

Bref, l’année fut agitée et parfois douloureuse (« Monsieur, il faut nous choisir des films qui vont nous arranger pour le bac » – aaaaargh, mais ce qui va t’arranger pour le bac, c’est de savoir argumenter un point de vue, définir le thème d’une œuvre et découvrir de nouveaux horizons !!!), surtout que je n’ai réussi qu’à la dernière séance à prendre sur moi et à mettre deux élèves qui étaient vraiment trop insupportables à la porte.  Mais elle fut riche en enseignements. L’année prochaine, avec l’expérience développée, j’espère pouvoir faire un atelier plus intéressant. Ma mission cet été en France est de recueillir une bonne palette de films divers et variés pour avoir le choix dans la projection, et de préparer du matériel pédagogique. J’hésite à centrer l’atelier sur l’apprentissage du débat, de l’écoute de l’autre et de la formulation de son opinion avec concision pour laisser du temps aux autres (trèèèèèès difficile) ou à faire une sorte d’atelier d’introduction à l’histoire du cinéma, en projetant plein de films différents (de Charlie Chaplin à des films actuels, surtout en insistant sur le patrimoine cinématographique tchadien, qui se résume malheureusement quasi-exclusivement à Mahamat Saleh Haroun, mais qui est déjà de grande qualité). Enfin, j’ai le temps de réfléchir encore.

P1010891

Hissein et Birre présentent l’atelier Vidéo-débat

Animer un atelier au foyer, c’est un moyen de sortir du travail habituel à Foi et Joie, de faire autre chose et de rencontrer de jeunes Tchadiens qui s’interrogent sur leur avenir, sur leur orientation, et qui sont souvent, eux aussi comme la Djanta du film (surtout les filles), pris entre la tradition et leurs envies d’avenir. Mais j’ai encore beaucoup de progrès à faire pour faire un atelier qui apporte réellement aux jeunes, qui soit intéressant pédagogiquement et qui se passe dans le calme. J’espère que j’y parviendrai l’année prochaine. En attendant, je profite de ne plus avoir un atelier par semaine pour regarder des films sans chercher leur intérêt pour un débat et je me fais l’intégrale de Star Wars. On revient toujours aux sources.

Scènes de la vie mongolaise

On se réveille tôt à Mongo. Dès 5h, les Tchadiens sont debout, commencent à se préparer. Pour nous à Gourouma, on attend 6h, voire 7h le dimanche, jour béni de grasse matinée. De toute façon, à cette heure-là, on a déjà transformé son matelas en piscine de sueur et la chaleur a chassé le sommeil. Le matin, le long de la route qui va au travail, je croise une foule de personnes en activité. Que ce soit en voiture, où il faut gérer la route entre les charrettes transportant les bidons d’eau et les ânes guidés à coup de chicote par des enfants, ou à pied, où je salue les gens venus puiser de l’eau au puits ou en train de fabriquer des briques en plein soleil, il ne se passe pas deux minutes sans que je lance un « Salam aleykum » ou que je réponde aux « Ca va ? Ca va bien ? » des enfants.

Le travail commence à 7h. A cette heure, toute l’équipe de Foi et Joie est dans la cour du bureau, assise sur des bancs en bois, à discuter, à se saluer et à prévoir les déplacements en brousse de la journée. Brahim, le gardien de jour, est souvent déjà occupé à arroser les plantes ou à balayer un endroit de la cour. Adam Koko, l’un des chauffeurs, avec son éternel chapeau, discute avec Akouna et Haroun, les deux assistants à la construction. Erbyé, animatrice de choc avec les femmes et notre voisine à Gourouma, apporte sa bonne humeur et son rire communicatif. Après cette petite séance matinale de salutations, tout le monde se dirige vers son bureau pour le travail. On termine à 13h, et chacun retourne chez soi pour manger.

Il y a une chose que je ne pourrais plus manquer sans risquer de passer une très mauvaise soirée, avec un mal de crâne abominable, c’est la sieste. La chaleur et la fatigue imposent ce rituel quasi quotidien après le repas. Avec la saison chaude, on somnole tout en dégoulinant soigneusement les 498 litres d’eau qu’on a si obstinément cherché à faire rentrer dans son corps dans la matinée. Après la sieste, l’après-midi, c’est le temps de la rencontre, du partage des moments de la vie avec les Tchadiens, ou du rien du tout quand la flemme envahit le corps et empêche de formuler ne serait-ce qu’un début de projet d’activité. Parfois, je vais chez les voisins, boire le thé, discuter, faire un jeu. Ou alors je pars à la mairie, participer à l’entraînement de volley-ball avec mon jeu infaillible envoyant à tous les coups la balle à l’extérieur du terrain. Ou encore je passe chez Issa, dans sa concession près de la grande mosquée, ou chez Moussa, occupé à peindre des panneaux pour les grandes ONG présentes à Mongo comme Oxfam. On cause, on fait des projets de visite au village paternel, ou on s’interroge sur les différences franco-tchadiennes.

Et dès 18h, la nuit commence à tomber. Et depuis que je suis ici, j’ai pris un rythme de retraité avec ses habitudes bien ancrées. Alors je commence à retourner vers la maison. Alors que l’appel du muezzin à la prière commence à retentir dans l’air du soir, que le soleil se couche et que les enfants se mettent à ânonner les versets du Coran dans un brouhaha indescriptible dans les écoles coraniques, c’est l’heure pour moi de me mettre à l’arabe (enfin quand la motivation est là). Je me plonge dans les histoires de Mahamat, sa mère Zara, sa sœur Zenaba et son ami le docteur Grégoire, qui a foncé hier avec sa voiture pourrie dans une mare et s’est retrouvé embourbé comme un con (boue = tîne, pneus = lasâtig – je profite de cette rédaction d’article pour réviser ma leçon d’hier, quelle organisation !). A 19h, on dîne. A 22h, tout le monde est couché. Eh oui, à la campagne, on se croirait en maison de retraite. Mais certains jours, jours de fête, on va chez Oxfam, boire une bière et manger de bons repas, dans leur base d’où ils ne sortent presque pas. Ou on va boire une bière au Consulat, le bar de référence de la nuit mongolaise, ou encore manger une carpe dans le tout premier restaurant avec une carte et une addition de Mongo ! : Top Cuisine, le rendez-vous de la génération consciente (quelle réclame !).

D’ailleurs, dernièrement, Top Cuisine organisait un méga concert de la mort qui tue, avec des groupes aux noms aussi accrocheurs que Michael Jackson, Arafat DJ, et mon préféré entre tous, Al Qaida ! Une soirée explosive, passée avec Moussa, Djido et d’autres, et au cours de laquelle j’ai appris que mes amis musulmans, si respectueux des principes islamiques de prime abord, sont en fait de grands amateurs de bière. Cool !

Évidemment, tout ceci est un peu succinct, et ne résume pas tout ce qui se passe à Mongo, heureusement ! Mais en ce moment l’ennui me gagne souvent face au manque d’activités et une folle envie me prend de vivre dans une grande ville comme N’Djamena. Du coup, c’est ce côté répétitif que je ressens actuellement, même si la joie d’être ici reste présente. Et pour conclure cette petite évocation de la vie à Mongo, Foi et Joie travaille actuellement à la réalisation d’images associées à des mots de la réalité des villages pour apprendre aux enfants à lire. Et au milieu du mil, des greniers, des chameaux et autres cases, il y a bien un objet que je n’aurais pas cru appartenir à la vie quotidienne d’un pays où les températures peuvent atteindre les 47 ou 48° : c’est le bonnet (phrase d’exemple pour les enfants : le monsieur porte un bonnet). Alors j’ai moi aussi une proposition pour ce jeu d’images : doudoune (le monsieur se promène en plein soleil avec une doudoune orange fluo). C’était ma contribution pédagogique du jour.

Quelques nouvelles en vrac

Grâce à la conjonction formidable entre une connexion internet satisfaisante, des photos qui se téléchargent et l’alignement des planètes avec la ceinture d’Orion et le carré de l’hypoténuse, voici en exclusivité quelques nouvelles de la fournaise !

Une sortie au Lac Fitri…

Chaque année, l’équipe de Foi et Joie organise une sortie pour se retrouver tous ensemble, resserrer les liens et rigoler un bon coup. L’année dernière, c’était Zakouma. Cette année, nous sommes partis au Lac Fitri, un grand lac situé au Nord de Mongo, en pays bilala. Alors qu’on se rapproche du désert, que près d’Ati, la « grande » ville située à 3h de route, le sable envahi déjà le paysage, le lac offre dans la région un ilot de verdure rafraichissant. Nous avons été hébergés comme des rois par Sa Majesté le Sultan Fitri, à Yao, le village au bord du lac et capitale du pays bilala. Un petit tour en pirogue, une dégustation de poisson sur une petite île écrasée par le soleil, et une équipe qui s’est marré de la première à la dernière heure, c’était un week-end de congé bien sympathique. Dormir avec l’équipe, c’est aussi partager la vie quotidienne : à 4h du matin, tous les musulmans sont debout pour la prière. Ensuite tout le monde se recouche un peu, et le « silence » revient, mais à 5h, rebelote ! Et là, c’est tout le monde qui est debout, en pleine forme. Dur dur de se lever à cette heure là après une trop courte nuit de sommeil. Surtout quand au petit-déjeuner on mange des macaronis avec de la viande, au lieu de la tartine de pain grillée avec du beurre salé tant rêvée (aaaaaaaaaaah le beurre salé, quand te reverrais-je ?). Mais on s’habitue, et les moments passé ensemble sont les plus importants.

P1010659

P1010687

P1010663

… deux inaugurations…

Ces deux derniers samedi, Foi et Joie a inauguré les écoles de Zoni et Gourbiti, construites l’année dernière. Les inaugurations se font en présence des autorités locales (chef de canton, chef de village, représentant du préfet…), des membres des associations de parents d’élèves, du directeur de l’école et surtout des élèves et des mères qui ont à chaque fois défilé devant l’assemblée et récité poèmes et remerciements. A Gourbiti, nous avons eu le droit a un défilé de chevaux du plus bel effet. Foi et Joie cherche maintenant à construire deux écoles chaque année, avec la participation de la population du village qui apporte des matériaux comme le sable et la latérite et la main-d’oeuvre non qualifiée. Le but est que les villageois s’approprient le bâtiment construit, que l’école soit pleinement intégrée au village, et non pas venue de l’extérieur. Cette année, deux écoles sont en construction, une à Dongom Bidio, dans le réseau FJ1, et l’autre à Djéguéré, près de Bitkine, dans le réseau FJ3.

P1010761

… la pluie qui revient…

Au retour de Gourbiti, nous avons eu droit à la première pluie d’importance depuis des mois. Alors que pas une goutte n’était tombé depuis depuis, ce sont des trombes d’eau qui se sont abattues sur Mongo. Je suis allé mangé la boule chez Haroun, l’un des assistants de la construction à Foi et Joie, en compagnie des maçons de l’école de Djéguéré, et c’est désespérément que nous avons cherché à nous abriter sous le seko. Peine perdue, l’eau coulait partout, dans la sauce viande, dans la bière de mil, dans les chaussures… Mais la fraîcheur après ! Quel bonheur ! Quel sentiment de bien-être ! Ce n’est pas encore la saison des pluies, et les températures sont rapidement remontées au dessus des 40°, mais bientôt l’eau viendra redonner vie à la terre desséchée, et le Tchad redeviendra vert comme à mon arrivée (le vert, c’est quoi ça ?).

P1010845

… et la vie qui continue.

Ne pas aller à la messe me coupe d’une bonne partie des rencontres possibles à Mongo. Alors j’ai décidé de faire un effort, et de supprimer ma grasse mat’ du dimanche jusqu’à 8h moins (prononcer moinsse) pour travailler au salut de mon âme et surtout renforcer les liens avec les gens. Pour l’instant j’y suis allé deux fois (applaudissements), et à chaque fois c’est l’occasion de saluer les gens et de discuter, alors ça vaut bien le coup de s’installer pour 2h (3 quand le Père Marc est en forme) sur le banc de l’aire de prière.

J’ai commencé aussi à faire des marches dans la montagne avec Djalali, l’assistant du directeur au Foyer Saint-Ignace, avec qui je discute des différences entre la France et le Tchad. Prochainement, nous irons dans la direction d’Oyo, un petit village sur la route qui passe près de la maison. Je profite de ces promenades pour prendre des jolies photos de Mongo vu de haut. Ici, on aperçois au centre une bien belle cathédrale qui s’achèvera bientôt :

P1010846